La Guinée traverse une crise énergétique sans précédent, qui traduit un des paradoxes qui défient le bon sens. En effet, malgré un potentiel hydro-énergétique anciennement estimé à 6000 Mégawatts, plus des ¾ des populations guinéennes vivent dans l’obscurité et l’industrialisation du pays peine à démarrer, etc.
Or, depuis l’accession du pays à l’indépendance, le bon sens veut que tout Guinéen comprenne que la souveraineté énergétique est un passage obligé pour le développement du pays. Malheureusement, les dirigeants successifs n’ont pu jusque-là effectuer des choix ou poser des actes à la hauteur du défi. Et de plus en plus, les conditions menant à cette souveraineté énergétique, sont difficiles à remplir, dû à plusieurs facteurs :
1) la déforestation poussée qui prévaut dans le pays ;
2) la gestion compliquée et complexe de l’Electricité De Guinée (EDG);
3) l’explosion du dépôt des hydrocarbures de Kaloum et les incendies survenus dans les installation de EDG ; et
4) l’absence de politique énergétique ambitieuse et pertinente ; etc. En effet, il suffit de se rappeler du mea-culpa de l’actuel Premier Ministre quand il a dit, le 13 mars dernier que le manque d’électricité est dû en partie à l’insuffisance d’eau dans les retenues des barrages de Souapeti et de Kaléta. Depuis cette communication du Premier Ministre en mars dernier, rien n’a changé en termes de déserte en électricité, alors que nous sommes en juillet ; on peut donc déduire que l’insuffisance d’eau dans les retenues des barrages est encore une réalité. Et parler d’insuffisance d’eau dans les retenues des barrages au milieu du mois de juillet suggère la conclusion que, si nos relations avec notre environnement ne changent pas, et maintenant, la Guinée risque de ne plus avoir suffisamment d’eau dans les retenues des barrages. Une telle conclusion signifierait que la Guinée n’a plus le potentiel hydro-électrique qu’on lui reconnaissait.
Il y a plusieurs causes qui concourent à la déforestation poussée dans notre pays. La première source d’énergie, plus de soixante années d’indépendance après, c’est le charbon du bois. La presque totalité des familles guinéennes utilisent les bois morts ou le charbon de bois pour la cuisson de leurs aliments et pour d’autres besoins. Les forgerons et certains autres corps de métiers utilisent aussi les bois morts et le charbon du bois. Cela prive le pays de plusieurs milliers d’hectares de forêts par an. La preuve, la mangrove est presque complètement détruite aujourd’hui.
Les feux de brousse sont une autre cause de la déforestation dans notre pays. Malgré les conséquences déjà très visibles de cette déforestation, des lois récemment votées (le code pastoral adopté par le CNT par exemple) rendent légales les feux de brousse dits précoces. En plus de ces feux de brousse précoces, il y a l’arrivée massive, du Mali et d’autres pays de la Sous-région, des zébus. Les zébus sont une race de bovins qui ne ruminent pas et qui est presque omnivore. Conséquemment, ils dévastent la forêt ; ce qui, par ricochet, fait tarir les sources d’eau…
La coupe sauvage de bois pour des raisons diverses (constructions, ébénisterie, exportation, etc.), constitue une autre grande cause de la déforestation. On compte des centaines, voire des milliers, de tronçonneuses dans les forêts guinéennes, surtout en Région Forestière. Cela se fait au vu et au su de toutes les autorités centrales, régionales et locales. L’on se rappelle nos dénonciations du Régime d’Alpha Conde quand il a autorisé la rentrée des tronçonneuses dans les forêts classées de Ziama et de Dieke.
L’exploitation anarchique des ressources minières est également une cause de la déforestation et de la dégradation générale de l’environnement dans notre pays. Il suffit de visiter les zones d’exploitation de l’or et du diamant en Haute Guinée, et celles de la bauxite en Basse Côte pour s’en convaincre.
Le deuxième facteur dont nous avons parlé plus haut est l’entreprise Electricité de Guinée (EDG). Ce n’est ni par pessimisme ni par critique méchante que nous constatons que cette entreprise, à cause de son environnement général, de son statut d’entreprise publique et de la gestion qui en découle, n’est pas rentable et elle ne le sera pas si rien ne change.
Qu’est-ce que nous appelons « environnement général » de l’EDG ? C’est surtout la situation chaotique dans laquelle vit le pays, depuis son accession à l’indépendance, au niveau de la localisation physique de tout le bâti public et privé, et de l’identification précise des personnes. En effet, en République de Guinée, aucune maison ni aucun bureau n’a une adresse physique. Aussi, aucun Guinéen n’a un identifiant unique et fiable. Or, pour une entreprise comme EDG, sa gestion transparente et efficace suppose qu’elle soit capable de bien identifier ses clients, à travers leur adresse physique et à travers leurs identifiants personnels. Dans les conditions actuelles, EDG ne semble même pas identifier 50% de ceux qui se branchent sur son réseau. Même ceux qui sont plus ou moins identifiés, nombreux ne paient pas leurs factures. Le pire des exemples est d’ailleurs donné par le gouvernement dont les ministères n’auraient pas payé leurs factures depuis janvier 2024. En outre, son statut d’entreprise publique n’aide pas non plus. En effet, dans un pays où la corruption et les détournements de deniers publics constituent un sport national, la probabilité qu’une entreprise publique soit rentable est nulle. Donc au lieu d’être un partenaire, EDG est une charge pour le trésor public.
Comme le malheur ne vient jamais seul, ce tableau très sombre est aggravé par (a) l’explosion du principal dépôt des hydrocarbures de Kaloum, (b) les nombreux incendies dans les installations d’EDG et (c) par une absence de politiques énergétiques audacieuses et pertinentes.
Que faut-il faire pour assurer la souveraineté énergétique indispensable au développement de la Guinée ? A court et moyen termes, et de façon pelle mêle, il faut :
- prendre des actions fortes pour reconstruire le couvert végétal et le protéger, à travers des campagnes régulières de reboisement et de protection des sources d’eau ;
- lutter efficacement contre les feux brousse et la coupe anarchique des bois en appliquant des sanctions draconiennes à tout contrevenant ;
- encourager et soutenir l’utilisation du gaz naturel pour remplacer le charbon de bois ;
- s’orienter vers les solutions alternatives à l’hydro-électricité dont le potentiel est également énorme en République de Guinée (les énergies solaires et éoliennes, et les centrales thermiques) ;
- accélérer la construction des nouveaux dépôts d’hydrocarbures ;
- encourager la mise en œuvre effective des éléments contenus dans l’agenda de la transition en cours, surtout en ce qui concerne le recensement administratif à vocation d’état civil ;
- affecter un identifiant unique et infalsifiable à chaque Guinéen ;
- procéder à l’adressage physique de tout le bâti public et privé du pays ;
- confier la gestion de EDG à une entité privée ;
- implémenter effectivement la bonne gouvernance en assurant la transparence dans la gestion de la chose publique et en adoptant la tolérance zéro contre la corruption et les détournements des deniers publics devenus le sport national;
- proposer aux Guinéens des produits financiers (bons du trésor, obligations, etc.) pour encourager leurs investissements dans la réalisation des grandes infrastructures dont le pays a besoin ;
- changer la politique minière du pays en adoptant un moratoire sur la délivrance de tout nouveau permis d’exploitation minière dans notre pays et en annulant tous les permis dont les compagnies bénéficières ne respectent pas les clauses.
La grande dépendance de la quasi-totalité des familles guinéennes du charbon de bois devait donner lieu à plus d’innovation et de diversification des sources d’énergies. Le potentiel hydro-énergétique n’est pas la seule source dans laquelle la Guinée possède un potentiel. Le pays est aussi potentiellement riche d’énergie éolienne et solaire. Les Guinéens eux-mêmes n’ont jamais été considérés dans les politiques publiques guinéenne comme devant être les premières personnes à encourager à investir dans ce secteur stratégique, parmi d’autres. Toutefois, il reste vrai que pour encourager le Guinéen à investir dans son pays, les dirigeants doivent d’abord faire preuve de transparence dans la gestion des affaires de l’Etat, de bonne gouvernance et de tolérance zéro face à la corruption et au détournement des deniers publics.
Dr Faya Lansana MILLIMOUNO
Président du Bloc Libéral ( BL)