Quand le chef de la transition ne sait pas quoi faire de sa transition, il ordonne à ses ministres de ramasser les ordures. Quand le chef de l’Etat ne sait pas ce que « Etat » veut dire, il place le Conseil des Ministres sous la gouverne des éboueurs. Mamadi Doumbouya est un président à part.
Avec lui, le plumeau remplace la plume, les chiffons de papier, les archives, les aspirateurs, les photocopieuses et les coups de balai, les coups de tampon. Ce n’est plus l’administration publique, c’est l’administration sur la voie publique. Ce n’est pas l’Etat de droit que l’on espérait, c’est l’Etat dans le caniveau.
Il n’en est pas à sa première fois, notre beau légionnaire. Il nous avait déjà offert un gouvernement civil en… treillis s’exerçant sous son œil vigilant, aux pompes, aux squats, aux burpees et aux garde- à vous. Des hauts fonctionnaires menés à la baguette, préparés à nettoyer le parquet et à cirer les pompes sont bien sûr mieux prédisposés à gérer les affaires de l’Etat que ces experts surdiplômés, certes bourrés de talent mais intoxiqués par les mauvais principes de la rigueur et de l’esprit critique.
Il nous avait déjà fait cadeau du serment sur le Coran (dans une République laïque !!!!) lors des examens scolaires. Il nous avait déjà institué les conseils des ministres itinérants. Bien que des conseils des ministres itinérants ne soient pas à priori une mauvaise idée. C’est l’improvisation, c’est le côté esbroufe de la chose qui me paraît condamnable. Des conseils de ministres ruraux (4 par an, une par région naturelle et non plus dans les chefs- lieu de région mais dans les sous-préfectures) seraient les bienvenus à condition qu’ils soient minutieusement préparés et à condition qu’ils produisent un impact décisif sur le développement local : route, pont, école professionnelle, décortiqueuse de grains, maternité, groupe électrogène, ambulance etc. Ça, ça aurait un sens. Dans l’Etat actuel des choses, le déplacement de nos excellences à Kankan, Labé, Kindia ou N’Zérékoré n’est rien d’autre que du tapage, un tapage qui coûte les yeux de la tête, malheureusement ! Comptons donc, si vous le voulez bien : l’essence, les nuits d’hôtel, les cuisses de poulet les gigots de mouton, le champagne, le vin de palm, la télé, la radio, les filles de protocoles…cela fait combien de milliers d’euros par jour ? Pour quel résultat ? Du bruit, du vent, des documents qui ne seront jamais lus, des projets qui ne seront jamais réalisés !
Alors que l’humanité hilare, a les yeux tournés vers les vestes fluo de nos ministres en ascension sur nos himalayas d’immondices, je jette un rapide coup d’œil sur les pratiques folkloriques de notre Etat bidon. Je me souviens de Sékou Touré et de ses week-ends d’ « investissement humain », je me souviens de Moussa Camara et de ses « Dadis Show », je me souviens de Kassory Fofana et de ses « opérations d’assainissement »…
Vous savez pourquoi, mes chers compatriotes, notre pays a le niveau de vie le plus élevé du monde ? Parce que nous avons les dirigeants les plus sérieux du monde. Chez eux, tout est facétie et représentation au son des coras et des balafons, mais aussi hélas, au rythme de la gégène et des coups de fouets.
Sans blague, mon lieutenant-colonel, ce ne sont pas les rues qu’il faut balayer, c’est l’ensemble de votre système. Sinon, je vous assure que dans 10 ans, 15 ans, 20 ans au bureau comme au trottoir, ce sera exactement les mêmes ordures.
Tierno Monénembo, in Le Lynx