Les autorités gambiennes ont rendu mardi à sa famille la dépouille d’une victime emblématique de la dictature de Yahya Jammeh, lors d’un hommage national six ans après l’instauration d’un fragile régime démocratique.
Des milliers de personnes, des victimes de l’ère Jammeh (1994-2017), des responsables officiels et des anonymes, se sont rassemblées pour voir remettre à ses proches le cercueil de Solo Sandeng, personnalité d’opposition morte sous les coups en détention en avril 2016, après son arrestation au cours d’une manifestation.
Ceint des couleurs nationales, le cercueil a été transporté en procession sur les épaules de policiers jusqu’au monument le plus représentatif de Banjul, une immense arche de style grec inaugurée dans les années 1990 par Yahya Jammeh et redédiée cette année aux victimes du dictateur.
« Son souvenir est gravé pour le reste de leur vie dans le coeur de tous ceux qui, comme nous, ont connu et participé avec Solo au long combat contre le régime brutal de Yahya Jammeh », a déclaré dans son éloge Ousainou Darboe, le chef du parti UDP dont Sandeng était membre. « Un citoyen ordinaire qui a obtenu pour notre pays un résultat extraordinaire par son dévouement désintéressé aux principes auxquels il croyait ».
La mort de Solo Sandeng est volontiers considérée comme un des catalyseurs du mouvement qui allait entraîner la chute du dictateur.
Elle avait provoqué des manifestations rares et sévèrement réprimées. Elle avait contribué à unir une opposition faible et divisée jusqu’à la défaite surprise de Yahya Jammeh contre Adama Barrow à la présidentielle de décembre 2016 et son départ contraint en exil en Guinée Equatoriale en janvier 2017 après 22 ans de pouvoir sans partage.
La famille de Solo Sandeng est à la pointe du difficile combat pour la justice en faveur des centaines de victimes de la dictature. Les victimes et leurs proches attendent toujours que le gouvernement d’Adama Barrow tienne son engagement de faire juger Yahya Jammeh et des dizaines de personnes accusées d’une multitude de crimes. De l’étranger, Yahya Jammeh continue à exercer son influence.
Une tentative de coup d’Etat que le gouvernement dit avoir déjouée en décembre 2022 a rappelé les vulnérabilités de la démocratie gambienne.
« Héros » et père
Solo Sandeng, pâtissier et militant devenu secrétaire du United Democratic Party (Parti démocratique uni, UDP, principal parti d’opposition), avait été arrêté en même temps que des dizaines d’autres le 14 avril 2016. Sa mort à l’âge de 57 ans avait été annoncée deux jours plus tard.
Yahya Jammeh avait déclaré en mai 2016 que le secrétaire général de l’ONU à l’époque, Ban Ki-moon, et l’ONG Amnesty International, qui réclamaient l’ouverture d’une enquête, pouvaient « aller en enfer ».
Après le départ de Yahya Jammeh, le corps de Solo Sandeng avait été exhumé le 4 mars 2017 pour l’enquête sur son décès entre les mains de l’Agence nationale du renseignement (NIA), l’instrument de répression du régime de Yahya Jammeh. Il était depuis lors conservé dans un grand hôpital du pays.
Un tribunal a condamné à mort en juillet 2022 l’ex-chef du NIA et quatre autres anciens membres de l’agence. La Gambie observant un moratoire sur les exécutions, leur peine est convertie en emprisonnement à vie. Ces condamnations demeurent l’exception, malgré les pressions constantes de la société civile.
Lors de la cérémonie de mardi, le ministre de la Justice Dawda Jallow a salué la mémoire d’un « homme qui a payé du prix ultime son combat pour la cause à laquelle il croyait profondément ». « Il laisse une marque indélébile dans l’histoire politique de ce pays », a-t-il dit.
“Solo Sandeng est l’incarnation du héros national pour les Gambiens », a déclaré Muhammed Sandeng, l’un de ses neuf enfants, « et pour nous, ses enfants et sa femme, il était un père qui nous chérissait ».
Son corps a été transporté à la mosquée de Dippa Kunda, dans la banlieue de Banjul, avant son enterrement dans le cimetière attenant.
AFP