Les nouvelles autorités de la Guinée ont célébré la date d’anniversaire de la prise du pouvoir par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) à sa tête le Cl Mamadi Doumbouya, ce mardi 05 septembre 2023 dans un contexte marqué par la réaffirmation du soutien des uns et l’expression du mécontentement et la déception des autres.
En effet, notre objectif ne consiste pas ici à peindre en noir tout le bilan de la conduite des deux années de transition du Cl Mamadi Doumbouya, car, un certain nombre de réformes structurelles et fonctionnelles ont été engagées depuis son avènement au pouvoir qui méritent d’être saluées et encouragées.
Cependant, les enjeux et les défis de cette transition sont d’autant plus importants et considérables, qu’il importe en amont d’analyser succinctement quelques concepts clés du discours de l’homme du 05 septembre, le Cl. Mamadi Doumbouya (I) afin de dégager en aval les incohérences et les contradictions entre ses promesses et les réalités qui, de toute évidence, représentent un handicap majeur pour une transition réussie et apaisée (II).
I- Le Cl. Mamadi Doumbouya : de Messie à Judas ?
Il est hors de doute que l’avènement au pouvoir de l’actuel Président de la transition guinéenne à la suite d’un coup d’État perpétré le 05 septembre 2021 a suscité un regain d’espoir chez bon nombre de guinéens (A). Mais progressivement, cet espoir nourri çà et là est incontestablement sur le point de se transformer en amertume et en désenchantement (B) à cause de l’étendue grotesque, improbable, impertinente et imprécise du chronogramme et la durée de la transition.
A- Le discours du 05 septembre ou la promesse d’une Guinée qui bouge
Entouré par les agents des forces spéciales, le Cl. Mamadi Doumbouya est apparu sur les antennes de la RTG comme un sauveur, un Messie. Sa posture de soldat rompu à la tâche, sa fougue de jeunesse, la tonalité aux allures révoltantes et révolutionnaires de son discours ont fait renaître beaucoup d’espoir chez les guinéens dans leur majorité.
En justifiant son coup d’État par la détérioration de la « situation sociopolitique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens, l’irrespect des principes démocratiques, la politisation à outrance de l’administration publique, la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique », il a bénéficié le soutien de la quasi-totalité des acteurs sociopolitiques asphyxiés par le régime déchu.
Très tôt, les premières actions symboliques menées dans le cadre de la redéfinition de notre pacte national, de la lutte contre le clientélisme, le népotisme, le favoritisme étaient, à bien des égards, salvatrices et encourageantes. L’espoir d’une Guinée réconciliée avec son histoire commençait à dessiner à l’horizon. C’est-à-dire une Guinée où plus aucun citoyen ne va mourir pour la politique ; une Guinée où les richesses seront équitablement redistribuées et non dans les poches d’un groupe d’individus assoiffés et affamés. Bref, il nous a promis une Guinée où le consensus primera sur la dictature de la pensée unique.
Sa volonté s’est matérialisée par la mise en place de certaines institutions (CRIEF-CNT), l’organisation des journées nationales autour des vertus du pardon, de la vérité et de la justice en vue de donner un caractère vertueux et inclusif à la transition. En effet, j’ai été par ailleurs l’un des premiers à l’avoir apporté mon soutien en considérant cette période de transition comme l’unique opportunité nous permettant de repenser notre modèle de société, de panser les plaies et les cicatrices de notre passé politique parsemé de violences inouïes, de redéfinir les règles de notre système politique et démocratique, enfin, de mettre les bases les plus solides d’un système de gouvernance durable.
Cependant, à mesure que le temps passe, je me rends compte que l’homme du 05 septembre n’a plus le contrôle du gouvernail du navire de la transition. Il se contente juste de jouer à tort ou à raison son rôle saugrenu qui est édicté non seulement par la branche élite de l’armée, mais aussi par un groupe de civils carriéristes au appétit inassouvissable qui agissent en fonction de leurs intérêts égoïstes.
B- Le flou entretenu autour du chronogramme et la durée de la transition
Après deux ans de transition, force est de constater que nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge de la roublardise et de cet éternel recommencement. Aujourd’hui, nous avons du mal à établir une grille de lecture rationnelle par rapport à la conduite de la transition dans la mesure où elle se présente non seulement vide de sens, mais aussi improductive à moyen et long terme. Car, à force de vouloir tout faire au même moment, la junte militaire « s’emmêle les pinceaux » ne sachant pas par où commencer ou par où terminer à cause du caractère irréaliste et déraisonnable du chronogramme des activités de la transition. Elle a, par ailleurs, le sentiment d’être investi par le capital de confiance du peuple à travers une élection.
Cet état de fait risque non seulement d’entretenir les germes d’une crise multipolaire, mais aussi et surtout explique la volonté manifeste de la junte de se maintenir au pouvoir au-delà du délai initial de deux ans.
La question qui mérite d’être posée est la suivante : peut-on résumer la réussite d’une transition par la rénovation et la construction de certaines infrastructures ?
D’emblée, je ne suis pas de ceux qui pensent que les chantiers en termes de développement sont insignifiants. Mais faut-il rappeler l’urgence et l’opportunité d’investir autant de ressources dans le domaine des infrastructures étant donné que la principale finalité d’une transition est justement l’adoption par voie de référendum une Constitution qui déterminera l’organisation de la vie sociopolitique, économique, culturelle, philosophique etc. du pays afin de faciliter le retour à l’ordre conditionnel. Mais contre toute attente, les nouvelles autorités ont posé comme conditions préalables, la mobilisation de plus de 600 millions de dollars pour exécuter le chronogramme de la transition. De qui se moque-t-on ?
II- De la refondation de l’État et la rectification institutionnelle à l’instauration de l’autoritarisme militaire et la bureaucratie civile.
Visiblement, nous ne semblons plus avoir la même définition et la même compréhension des concepts clés du discours du Cl. Mamadi Doumbouya en date du 05 septembre 2021, notamment lorsqu’il évoque la refondation de l’État et la rectification institutionnelle (A). Cette ambiguïté née de la volonté de la junte de caporaliser toutes les institutions et d’instaurer une bureaucratie civile (B) en vue de se maintenir au pouvoir.
A- De la refondation de l’État et rectification institutionnelle
Personnellement, j’entends par refondation et rectification institutionnelle, le désir ardent de revisiter objectivement notre passé, de diagnostiquer les enjeux et défis du présent et de définir un ensemble de perspectives prometteuses du futur.
À l’évidence, ce travail de fond aurait dû commencer par la réparation des erreurs du passé avec la promesse de ne plus les commettre, la définition des nouvelles règles du fonctionnement de nos institutions, de nos rapports sociaux et la mise en place d’un mécanisme de suivi et de respect de ce renouveau de notre pacte social. Car, en règle générale, le concept de transition, dans sa définition canonique, désigne l’intervalle de temps qui marque la rupture entre un régime politique présumé autoritaire, dictatorial et régressif vers la modélisation d’un autre plus ou moins démocratique et respectueux des valeurs et droits humains (G. O’Donnell, Schmitter, 1986, p. 6).
Ensuite, il est important de distinguer une transition imposée par là-haut, c’est-à-dire par l’élite au pouvoir et une transition définie par le pacte républicain entre l’élite au pouvoir et l’ensemble des autres composantes de la société en dépit des diversités d’opinions. La première forme de transition (transition imposée) débouche généralement sur la mise en place d’institutions qui souffriraient à la fois d’une large légitimité et de légalité, contrairement à la seconde forme dont la probabilité est beaucoup plus forte qu’elle débouche à la mise en place d’institutions capables de résister aux intempéries du temps et à la tentation des hommes.
Partant de ce point de vue, j’estime sans risque de me tromper qu’une transition dont l’objectif fondamental est la refondation de l’État et la rectification institutionnelle, doit être construite sur une base beaucoup plus solide. C’est-à-dire, en mettant un accent particulier sur les réformes institutionnelles et constitutionnelles. Or, le constat n’en demeure pas moins vrai que d’énormes erreurs de parcours s’accumulent du jour au lendemain, lesquelles erreurs compromettent la faisabilité de ce vaste projet et impactent dangereusement le processus évolutif de ladite transition.
B- La transition guinéenne : entre la politique du bâton et celle de la carotte
Visiblement, deux constats se dégagent à la suite de notre analyse sur l’évolution de la transition guinéenne. Premièrement, c’est l’instrumentalisation des forces de défense et de sécurité pour des fins politiques inavouées du CNRD.
En effet, pour comprendre comment « la grande muette » a prit goût en multipliant son irruption répétée dans la gestion du pouvoir politique, c’est de faire un effort pédagogique en ayant un esprit critique sur la gestion des régimes militaires en commençant par le CMRN, le CNDD jusqu’au CNRD. Il apparaît sans l’ombre d’aucun doute, que ces périodes sont considérées comme une période de grâce, car en l’absence des instruments juridiques de contrôle et de sanction, les putschistes ont accès à toutes les ressources du pays. Des casernes où la chaleur varie entre 30°C à 40°C au palais et bureaux climatisés avec un budget de souveraineté qui peut être revalorisé à souhait au regard du fait qu’aucun membre du CNRD, du CNT ni du gouvernement n’a daigné déclarer ses biens. Dès lors, il est moins évident que les civils retournent au pouvoir de sitôt.
En plus, les putschistes s’assurent qu’ils ont effectivement le contrôle de leur pouvoir en cherchant à renforcer leur unicité d’action et la revalorisation de leurs soldes (de capitaine au général cinq étoiles en un temps record). Ensuite, ils nomment les officiers militaires à des fonctions stratégiques ; ils militarisent les services publics : sous-préfets, préfets, gouverneurs etc.
Enfin, à travers une politique de la carotte, ils font la promotion des civils bureaucrates acquis à leurs causes. Grâce à ce réseau puissant composé de loyaux, d’arrivistes et d’opportunistes, ils maîtrisent ainsi tous les rouages du système et de tous les appareils de prise de décision : le CNT, les institutions judiciaires (CRIEF) et le gouvernement. Par cette manœuvre de théâtralisation, le chef de la junte deviendra le Président de la transition, Chef de l’Etat, chef suprême des forces armées et père de la Nation.
C’est pourquoi, G. O’Donnell et P. Schmitter ont vu juste en estimant que l’intervention répétitive de l’armée dans la gestion du pouvoir pourrait expliquer leur désir de s’enraciner progressivement malgré leurs promesses lors de la prise du pouvoir. Partant de ce constat, j’adhère volontiers à la thèse de Jean-Jacques ROUSSEAU qui, selon laquelle « Pour connaître les hommes il faut les voir agir. Dans le monde on les entend parler ; ils montrent leurs discours et cachent leurs actions : mais dans l’histoire elles sont dévoilées, et on les juge sur les faits. Leurs propos même aident à les apprécier ; car, comparant ce qu’ils font à ce qu’ils disent, on voit à la fois ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent paraître : plus ils se déguisent, mieux on les connaît ».
Par Aly Souleymane Camara (Analyste politique et consultant média)