Pour certains experts, les perturbations actuelles au sein des économies africaines sont, au-delà des questions de gouvernance, le reflet de l’incapacité des Etats-Unis à assumer leurs responsabilités face aux conséquences des dynamiques autour de sa monnaie, le dollar.
Le coût du dollar américain représente le risque le plus élevé pour les entreprises africaines en 2023, selon des analystes de l’agence de notation GCR Ratings, basée en Afrique du Sud, et dont l’actionnaire majoritaire est Moody’s Ratings Corporation.
« On peut continuer de parler de l’inflation ou de la hausse des taux d’intérêt par les banques centrales, mais le principal problème demeure celui du coût du dollar », a fait savoir l’un des experts, dans le cadre d’un podcast écouté par l’Agence Ecofin.
Il prend pour exemple le cas des banques ghanéennes qui, durant une certaine période, ont généré de la marge en effectuant les transactions entre le cedi (monnaie ghanéenne) et le dollar. Il estime que la volatilité actuelle du coût de la devise américaine est de nature à placer la rentabilité de ces sociétés financières sous pression.
Cette approche des enjeux macroéconomiques en Afrique permet d’aborder sous un autre angle les défis économiques qui prévalent dans les pays africains. En vue de contenir l’inflation, les banques centrales africaines ont majoritairement augmenté leurs taux directeurs, dans l’optique de ralentir les encours de crédit à l’économie, de réduire la masse monétaire et de faire retomber les prix.
Selon les pays ou les sous-régions, ces décisions ont eu des impacts mitigés, car les encours de crédit ont continué de progresser. Aussi, prenant en compte les risques, les banques ont concentré leurs prêts aux secteurs économiques les plus rentables. En Afrique de l’Ouest, par exemple, les crédits de trésorerie (à court terme) continuent de dominer un marché où les grandes entreprises et les gouvernements obtiennent la majeure partie des prêts, au détriment des secteurs comme l’agriculture, dont la faible productivité tire l’inflation vers le haut.
On retrouve aussi une telle configuration dans des pays comme le Ghana, le Nigeria, l’Egypte et le Kenya. La vision strictement monétaire de l’inflation ne semble pas être l’hypothèse de base adéquate pour gérer la cherté de vie et les risques que cela pose pour la qualité des créances dans les pays africains. Être assujetti au dollar américain pour les importations des biens et notamment des services qui dominent la consommation africaine est un défi qu’il faudrait surmonter avec des politiques monétaires et de crédit axées sur les secteurs de l’agriculture et de l’informel, qui soutiennent l’essentiel des emplois dans la région.
Cette menace que représente aujourd’hui le coût du dollar américain n’est pourtant pas prête de reculer. « Il faudra beaucoup plus de preuves pour avoir la certitude que l’inflation est sur une trajectoire de baisse durable », a récemment expliqué Jerome Powell, président de la Réserve fédérale des Etats-Unis, signalant que des taux directeurs élevés, et donc un dollar toujours plus cher, resteront de mise en 2023 et 2024.
Dans le même temps, le Fonds monétaire international (FMI), qui est le gendarme du système financier international, reconnait le problème que représente la hausse de la monnaie américaine pour les économies émergentes et celles en développement. Mais les solutions que propose l’institution sont difficiles à mettre en œuvre par les pays victimes de la situation. « Les pays doivent préserver leurs réserves de change, vitales pour faire face à des sorties de fonds et à des turbulences potentiellement plus graves à l’avenir. Les pays dont les politiques économiques sont saines et qui doivent remédier à des vulnérabilités modérées devraient recourir de manière proactive aux précautions du FMI pour répondre à leurs futurs besoins de liquidités », font savoir les experts du FMI.
Pour les pays jugés lourdement endettés en devises étrangères, ceux d’Afrique subsaharienne compris, il est recommandé de « réduire les asymétries de change en recourant à la gestion des flux de capitaux ou à des politiques macroprudentielles, en plus des opérations de gestion de la dette pour lisser les profils de remboursement ». Des solutions difficiles à comprendre et complexes à gérer.
Dans le même temps, les agences de notation internationales appliquent sans états d’âme des mesures rigoureuses d’évaluation de la situation. La plupart des pays de la région ont leurs notes souveraines dégradées, ce qui augmente encore plus leurs difficultés à refinancer leurs dettes existantes, et rend plus coûteux l’accès aux financements extérieurs pour leurs entreprises, tant financières que non financières.
AFP