Faux comptes, émission de « fact-checking » et radio indépendantiste : au Mali, la guerre entre l’armée malienne et la rébellion séparatiste à dominante touareg se joue également sur le terrain de l’information.
Après huit ans d’accalmie, les hostilités ont repris en août dans le nord du Mali entre les forces régulières et les séparatistes, réunis au sein d’une alliance de groupes armés appelée Cadre stratégique permanent (CSP).
Le retrait de la Mission de l’ONU, poussée vers la sortie par la junte au pouvoir, y a déclenché une course pour le contrôle du territoire, les autorités centrales réclamant la restitution des camps, les rebelles s’y opposant.
La reprise mardi par l’armée de Kidal, bastion de la revendication indépendantiste, est un succès symbolique pour les colonels qui ont pris le pouvoir par la force en 2020.
A l’ombre des combats sur le terrain, les deux camps s’affrontent aussi sur les réseaux sociaux, notamment X (ex-Twitter), TikTok et Facebook, au travers de comptes de soutien, dont beaucoup créés récemment, sur fond de désinformation.
Sur X, c’est récit contre récit. Des comptes de soutien aux rebelles ont publié par exemple un faux tweet au nom du Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga, celui-ci annonçant « l’abandon » par l’armée malienne et de ses « partenaires Wagner » d’Anéfis, une localité reprise aux rebelles le 7 octobre et située à environ 100 km de Kidal.
Cache de Saddam Hussein
De leur côté, des soutiens de l’armée ont fait passer d’anciennes images d’un film américain et des photos de la cache de l’ex-président irakien Saddam Hussein pour un tunnel abritant un important « chef terroriste » à Aguelhok, dans la région de Kidal.
« Les sponsors du terrorisme veulent empêcher la capture de ce terroriste », a écrit l’un des auteurs de la publication sur X. Une information démentie par un soutien des rebelles qui a publié la même image montrant en réalité la cache de Saddam Hussein publiée en décembre 2003.
« Chaque camp donne sa version de ce qui se passe sur le terrain et décrédibilise celle de l’adversaire qu’il présente comme de la propagande », explique Seidik Abba, journaliste et analyste politique nigérien spécialisé sur le Sahel.
La junte au pouvoir a rompu le partenariat militaire historique avec la France et ses alliés européens pour se tourner vers la Russie et ont intimé à la mission de l’ONU de partir. L’armée et les autorités ont cessé de délivrer des bilans humains précis d’attaques subies par les militaires ou d’exactions perpétrées contre les civils, ou se montrent plus évasives.
« Fact-checking » et radio
La télévision d’Etat a lancé en octobre une émission mensuelle de « fact-checking » afin, selon elle, de « parcourir les images et documents attribués aux forces armées maliennes sur les réseaux sociaux et voir s’ils sont vrais ou faux ».
Cette émission, appelée « Démêler le vrai du faux », a consacré son premier numéro à la vérification d’images présumées fausses de matériels militaires maliens qui auraient été détruits par le CSP et très relayées par des comptes de soutien aux indépendantistes.
« C’est une première de voir qu’un média d’Etat qui diffuse très souvent de la désinformation ait aussi envie de lutter contre la désinformation », ironise Abdoulaye Guindo, coordinateur de Benbere, une plateforme de fact-checking au Mali.
Pour le présentateur de l’émission, Abdoulaye Kéïta, les soupçons tendant à réduire ce programme à un canal de propagande de l’armée sont erronés. C’est « une initiative de la télévision publique (…) les autorités n’ont rien demandé », assure-t-il. « Le premier numéro était consacré à l’armée car d’actualité » mais les prochaines éditions aborderont d’autres sujets, ajoute-t-il.
Les rebelles du CSP ont multiplié leurs canaux de communication. Une « Cellule d’information et de Communication des Affaires Militaires de l’Azawad » a été mise en place sur X depuis septembre. On la retrouve aussi sur Telegram et Facebook.
Les indépendantistes passent aussi leurs messages sur une radio en ligne, « Radio Azawad International ». Elle relaie les récits des opérations favorables au CSP et amplifie tout ce qui est défavorable aux militaires.
Vague de désinformation
Cette guerre entre l’armée malienne et les indépendantistes vient s’ajouter à la vague de désinformation qui noie plus largement le Sahel sur fond de luttes d’influence entre puissances étrangères, dont la Russie et la France.
En juillet 2023, le Niger a été le troisième pays de la région à connaître un coup d’Etat militaire en trois ans après le Mali et le Burkina Faso.
Les trois pays ont signé mi-septembre un accord de coopération militaire. Leurs médias d’Etat ont conclu début novembre un partenariat visant à mutualiser leurs moyens : « Nous sommes en guerre, celle sur le terrain mais également sur le plan de la communication. Il est donc important d’aller ensemble main dans la main pour relever le défi de la communication », a indiqué le directeur de la télévision d’Etat du Mali Hassane Baba Diombélé, à l’Agence d’information du Burkina.
Les militaires au pouvoir dans ces pays ont suspendu plusieurs médias français et expulsé des journalistes. Les médias locaux, eux, sont soumis à d’importantes pressions et peuvent difficilement traiter de sujets sensibles, surtout ceux liés à « l’armée », précise Abdoulaye Guindo.
Pour le journaliste Seidik Abba, ce « black-out consistant à interdire des médias va pousser les gens à s’accrocher à des outils qui favorisent la désinformation. »