L’opposition -et certains dans son camp- l’avaient cru mort ou moribond après un grave AVC en octobre 2018. Mais Ali Bongo Ondimba, qui a annoncé sa candidature à un troisième mandat à la présidentielle du 26 août, s’est relevé. Et métamorphosé.
Le président effacé et débonnaire élu en 2009 pour succéder à son père décédé -l’inamovible, omnipotent et intraitable Omar Bongo-, s’est mué, en 14 ans de pouvoir, en un impitoyable chasseur de « traitres » et de « profiteurs » au sommet de l’État, face à ceux qui l’avaient cru fini, politiquement et physiquement.
Il avait disparu 10 longs mois à l’étranger après un accident vasculaire cérébral en 2018 en Arabie saoudite, une convalescence et une intense rééducation qui semblent avoir fait de lui un miraculé mais ont fait vaciller son pouvoir.
Ses opposants ont mis et mettent encore en doute, à 64 ans, ses capacités mentales et physiques à diriger le pays, certains affirmant même qu’un sosie le remplace.
Deux électrochocs
Mais si une raideur dans la jambe et le bras droit l’empêche encore de se mouvoir aisément, la tête est bien là, assurent des visiteurs réguliers, diplomates ou autres. Et sa frénésie de « tournées républicaines » au Gabon et de sommets et visites à l’étranger tranchent avec sa quasi-absence ou ses apparitions fantomatiques d’après convalescence.
Il s’y présente en champion mondial de l’environnement, à la tête d’un Gabon couvert à 88% de forêt, « absorbeur net de carbone et un leader dans les initiatives d’émission nette zéro », selon la Banque mondiale.
Le président du Gabon Ali Bongo Ondimba, au pouvoir depuis près de 14 ans, a annoncé dimanche qu'il sera candidat https://t.co/p5dMPgSsff
— Guinéesouverain.com (@GuineeSouverain) July 10, 2023
Lors de son premier mandat, Ali Bongo a été l’antithèse de son père: sans le charisme et l’aplomb du « patriarche », qui régna sans partage 41 ans sur ce très riche petit Etat pétrolier d’Afrique centrale, il a difficilement assis son autorité, notamment face à des caciques rétifs de son tout-puissant Parti Démocratique Gabonais (PDG).
Jusqu’à sa réélection en 2016, très contestée par l’opposition et officiellement remportée de 5.500 voix seulement. Un électrochoc pour lui, suivi par un second -son AVC qui a failli aussi lui coûter la présidence– qui vont précipiter sa mue.
Sa convalescence avait été ponctuée par un putsch raté, aussi piteux que mystérieux, d’une poignée de militaires, le 7 janvier 2019, et une tentative rampante de mise au rancart par son omnipotent directeur de cabinet, Brice Laccruche Alihanga.
Ali Bongo lui avait laissé les clefs du Gabon avec une confiance aveugle, comme à bien d’autres avant lui. Brice Laccruche est en prison depuis plus de trois ans, avec plusieurs ministres et hauts-fonctionnaires fidèles, tous visés par une impitoyable opération « anti-corruption ».
Mutation
Le président s’affiche depuis en « père la rigueur » pour des ministres et conseillers dont il exige qu’ils se « mettent au travail au service des populations », soumet à des audits et vire à la moindre suspicion, dans ce Gabon affligé par une corruption endémique depuis les décennies décriées de la « Françafrique », dont Omar Bongo était l’emblématique pilier.
Vains mots et postures, énièmes promesses jamais tenues, s’étrangle l’opposition, pour qui le fossé se creuse entre richissimes et pauvres dans un des pays les plus riches d’Afrique en PIB par habitant, mais qui peine encore à diversifier une économie trop dépendante du pétrole et maintient un habitant sur trois sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale.
Lors de son premier mandat, héritier d’une partie de l’immense fortune paternelle, « Monsieur Fils » ou « Baby Zeus » comme on le brocardait alors, était dépeint par l’opposition comme distant de son peuple, reclus dans de luxueuses propriétés au Gabon et à l’étranger ou au volant de nombreuses voitures de luxe.
On lui a reproché de laisser conseillers et ministres mener les affaires du pays. Et les confondre parfois avec leurs propres affaires.
Stratège
Récemment, Ali Bongo s’est aussi métamorphosé en redoutable stratège politique, comme son père: il multiplie les disgrâces dans son camp et braconne, à coup de portefeuilles ministériels ou titres ronflants, dans une opposition désunie.
Le contraste est frappant: en 2009, Ali Bongo avait été laborieusement adoubé par le PDG d’Omar, et de sourdes luttes internes avaient perduré et failli lui coûter cher en 2016; aujourd’hui il a profondément remanié le parti, avec la promotion d’une jeune garde fidèle notamment.
Pour ses partisans,Ali Bongoest un phénix renaissant courageusement de ses cendres, au prix de douloureuses séances de rééducation. Pour ses contempteurs, il est poussé, voire « manipulé », par un entourage immédiat qui ne veut pas lâcher le pouvoir et ses acquis après bientôt 55 ans de « dynastie Bongo ».
Le chemin n’était pas tracé. Jet-setteur passionné de musique, il se voulait le « James Brown gabonais » et s’imaginait une carrière, enregistrant en 1978 un 45 tours « soul, disco, funk ».
Puis Alain-Bernard Bongo devient Ali Bongo quand son père convertit la famille à l’islam en 1973.
En 1989, Omar Bongo lui offre un maroquin de luxe à 29 ans, les Affaires étrangères, puis dix ans plus tard le stratégique portefeuille de la Défense, qu’il occupera jusqu’en 2009.
À peine élu, Ali Bongo prend ostensiblement ses distances avec la France, notamment pour rompre avec la politique de proximité du père. Au point de déserter les luxueuses demeures familiales qui valent à neuf autres enfants d’Omar une mise en examen à Paris, notamment pour recel de détournement de fonds publics, dans l’affaire dite des « biens mal acquis ».
TV5