Huit mois après le coup d’État du général Abdel Fattah al-Burhan, des dizaines de milliers de personnes sont une nouvelle fois descendues dans les rues des grandes villes du Soudan, ce jeudi 30 juin, pour exiger le départ de la junte militaire. Dans la capitale, des foules immenses ont convergé en direction du palais présidentiel. Elles se sont heurté à un déploiement massif des forces de sécurité qui verrouillaient le centre-ville. La répression a fait au moins six morts. Un bilan qui pourrait s’alourdir.
À partir de la matinée, toutes les communications ont été coupées au Soudan, à l’exception des appels internationaux. Tôt, les manifestants ont commencé à se rassembler quartier par quartier pour converger ensemble vers le palais présidentiel.
Plusieurs cortèges ont notamment réussi à franchir les ponts qui mènent au centre-ville de Khartoum, sur lesquels d’imposants containers avaient été déployés pour barrer le passable. Impossible d’évaluer le nombre de manifestants. Comme à chaque rassemblement, le réseau internet et téléphone étaient fortement perturbés.
« Les Soudanais ont pris la rue en grand nombre, un nombre sans précédent. Un million de personnes peut-être, je ne sais pas, mais il y avait énormément de monde », témoigne Hamid Halifula, militant et chercheur, qui décrit autour de lui des « drapeaux représentant les différents quartiers, beaucoup de gens de différents milieux, des hommes, des femmes, des enfants… » et dépeint une détermination sans faille : « Le moral est plutôt bon, car la mobilisation est vraiment importante, plus que d’habitude. Et puis plus le temps passe, plus on sent que le régime militaire faiblit. » Mais il se dit aussi réaliste, « on sait que la situation ne va pas changer en 24 heures ».
Dans une ambiance survoltée, les mêmes slogans que depuis huit mois ont retenti dans la capitale : « que les militaires retournent dans leurs casernes », « le peuple veut la chute d’al-Burhan ». Dans l’après-midi, des violences ont éclaté. Les cortèges ont été à nouveau sévèrement réprimés. Gaz lacrymogènes, canons à eau… A plusieurs reprises, les forces putschistes ont également tiré à balles réelles sur les manifestants pacifiques, rapporte notre correspondant à Khartoum, Eliott Brachet. « Cela fait huit mois qu’on se fait massacrer », s’est indigné une mère de famille, masque sur le visage et lunettes de protection.
Hamid Halifula vit dans le quartier de Bahri à Karthoum, séparé du centre où se trouvent les principaux bâtiments officiels. Il témoigne de la violence des forces de sécurité : « Nous devions traverser le pont pour rejoindre l’autre rive de Khartoum où se trouve le palais présidentiel, là où la manifestation devait converger. Mais nous avons subi une violence extrême, des gaz lacrymogènes mais aussi des tirs à balles réelles. »
Selon un syndicat de médecins, proche de la contestation, plusieurs manifestants ont été abattus par les forces de sécurité, qui ont également effectué des descentes dans des hôpitaux pour arrêter les manifestants blessés. Toute la journée, un ballet de motos chargées de blessés faisaient des aller-retours jusque dans les hôpitaux. L’hôpital al-Jawda a accueilli des centaines de blessés et des médecins complètement dépassés ont déploré la mort d’un manifestant d’une balle dans la tête.
A l’extérieur, des proches en pleurs, des cris de rage et des chants révolutionnaires… Le 30 juin commémore la manifestation massive de 2019, qui avait amené les militaires à négocier un partenariat avec les civils. Trois ans plus tard et plus d’une centaine de morts dans la répression, les dizaines de milliers de personnes qui étaient dans les rues étaient unanimes : « on en fait plus confiance à l’armée, elle doit se retirer de la scène politique. »
A l’image de Mudawi Ibrahim Adam, membre d’un comité de résistance populaire, il juge qu’un accord doit être vite trouvé sur les institutions de la transition et qu’elles doivent exclure l’armée. « Les citoyens doivent trouver une position unie. Ils doivent s’accorder sur la structure qu’ils veulent pour la période de transition. Nous avons besoin d’avoir une proposition concrète pour la transition, où vous n’avez pas cette association entre l’armée et les civils. Nous devons ramener l’armée dans ses casernes. Ils n’ont rien à faire en politique et doivent s’occuper uniquement des affaires militaires. Il y aurait le conseil souverain entièrement civil qui prendrait en charge le gouvernement civil et le conseil législatif composé des partis opposés à Béchir. »
« Même si on doit tous mourir, les militaires ne nous gouverneront pas », scandait la foule. De son côté le bloc civil des Forces pour la liberté et le changement a déclaré : « comme prévu, les putschistes ont déchaîné leur violence », avant d’ajouter: « les défilés de jeudi ont prouvé que la révolution n’est pas morte ».
La répression se poursuivait à la nuit tombée, même si les cortèges avaient commencé à se disperser. Mercredi, l’émissaire des Nations unies au Soudan, ainsi que plusieurs ambassades, ont appelé les autorités à éviter la vviolence.
Avec Rfi